Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CCIP-CA, 7 janv. 2020, n° 19/12553

RG n° 19/12553

Motifs : "46. [Sur la détermination du dommage], les dommages causés par des pratiques contraires au droit de la concurrence de l'Union ont été identifiés comme pouvant être des surcoûts payés en raison des prix artificiellement élevés, notamment en matière d'entente (article 101 TFUE – CJUE 29 juillet 2019 Tibor-Trans, C-451/18) ou des pertes de vente s'agissant d'abus de position dominante (CJUE C-27/17 du 5 juillet 2018 FlyLAL points 40 et 41). Comme le souligne M. l'avocat général MICHAL BOBEK dans l'affaire FlyLAL (point 76), « la restriction de concurrence a par nature un effet d’exclusion (perte de ventes et marginalisation sur le marché) plutôt qu’un effet d’exploitation (par la facturation de prix cartellisés excessifs aux clients) ».

47. Il résulte de ces éléments que selon le droit positif de l'Union, le lieu de matérialisation du dommage est le lieu du ou des marchés affectés par les actes anticoncurrentiels, où la victime prétend avoir subi un préjudice initial constitué, selon les cas, par des surcoûts ou des pertes de vente.

48. En l'espèce, le litige a pour origine selon la société LeGuide [exploitant des sites de comparaison de prix] le déploiement par les sociétés Google du nouvel algorithme “Panda 4.1", qui selon la première a engendré une chute de trafic sur son site www.leguide.com, suite à un défaut de visibilité dans les résultats de recherche de google.fr concernant les utilisateurs français.

49. Aux termes de son assignation, la société LeGuide faisait valoir que les sociétés Google auraient abusé de leur position dominante (i) sur le marché des services de comparaison de prix en favorisant leur propre service dans leurs pages de résultats de recherche générale et (ii) sur le marché de la publicité liée aux recherches en ligne en l'empêchant d'avoir accès à ce secteur et d'accéder à des sites d'éditeurs pour placer ses publicités.

50. Les comportements fautifs imputés aux sociétés Google affecteraient le marché des comparateurs de prix dans plusieurs pays européens dont la France, ces actes ayant eu pour conséquence selon la société LeGuide une diminution nette de son activité, matérialisée par une baisse du trafic enregistré sur les sites internet exploités par celle-ci depuis la France à destination d'utilisateurs français et européens, qui s'est traduite par une perte de « leads » et une perte de contrats avec les sites marchands référencés sur les MCP [moteurs de comparaison des prix] de la société LeGuide et donc une perte de marge du fait des pratiques anticoncurrentielles.

51. Il résulte de ces éléments que le dommage subi par la société LeGuide ne constitue pas une simple conséquence financière du dommage qui aurait pu être subie [sic] par les sites marchands référencés sur le moteur de comparaison qu’elle exploite mais est bien la conséquence immédiate des pratiques anticoncurrentielles alléguées et constitue en conséquence un dommage direct permettant de fonder la compétence de la juridiction dans le ressort de laquelle il s’est matérialisé.

(…)

54. En l’espèce, le marché affecté par le comportement fautif allégué engendrant une baisse de trafic enregistré sur les sites internet exploités par la société LeGuide à destination d'utilisateurs tant français qu’européens, qui se traduit notamment par une perte de contrats conclus avec des partenaires industriels pour leur permettre de figurer sur ces sites, doit être considéré comme étant celui de l'Etat membre sur lequel la société LeGuide développe, exploite les MCP et enregistre le trafic de ses sites et non celui auxquels les sites sont destinés.

55. Il n'est pas contesté que la société LeGuide développe et exploite ses sites de MCP à destination d'un public français et européens depuis la France, ni qu'elle contracte depuis la France avec les sites marchands référencés sur ses MCP et perçoit en France les revenus y afférant, ni qu'elle y opère l'essentiel de ses activités. Elle indiquait en outre réaliser en France son chiffre d’affaires le plus important et y détenir une part du marché de comparateurs de prix d’environ 20%.

56. Enfin, et à titre surabondant, la localisation du siège social de la victime, à savoir le siège de la société LeGuide, peut également être considéré comme un critère pertinent pour l'examen de sa demande de réparation du dommage subi, compte tenu de ce qu’en l’espèce ce dommage "dépend pour l'essentiel d'éléments propres à la situation de cette entreprise”, ce qui a été retenu par la CJUE comme un motif pertinent au regard du choix du for, (...) la juridiction du lieu où celle-ci a son siège social est à l'évidence la mieux à même pour connaître d'une telle demande. » (CJUE 21 mai 2015, Cartel Damage Claims, C-352/13)."

(Confirmation du jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu’il s’est reconnu compétent).

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CCIP-CA, 12 févr. 2019, n° 18/21818

Motif 42 : « Il est constant que la société Interbulk avait prévu d'associer la société Tercim au projet et que cette société est mentionnée dans le contrat pour acter sa participation à certaines étapes du projet auquel elle a effectivement pris part dans l'acquisition du terrain et la constitution de la société d'exploitation de la cimenterie. »

Motif 43 : « Toutefois la société Tercim n'a pas signé le contrat écrit qui a été convenu entre la société Consar et la société Interbulk et aucune pièce ne révèle qu'elle a donné son consentement effectif à l'égard de cette clause dans les conditions formelles de l'article 25 du règlement n°1215/2012. »

Motif 44 : « Il s'ensuit que la clause attributive de compétence convenue dans le contrat conclu entre la société Consar et la société Interbulk est inopposable à la société Tercim de sorte que cette clause ne peut servir de fondement à la compétence du tribunal de commerce de Paris à l'égard de la société Tercim et qu'il y a lieu de déterminer cette compétence en application des règles générales du règlement n°1215/2012 et notamment de l'article 4.1 précité qui donne compétence à la juridiction française [l'ordre juridique français, motif 45], comme étant celle de l'Etat dans lequel la société Tercim a son siège social. »

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CJUE, 19 nov. 2019, INA-INDUSTRIJA NAFTE d.d. e.a., Aff. C-200/19 (Ord.)

Motif 27 : "S’agissant d’une obligation dont sont tenus les copropriétaires à l’égard de la copropriété, portant sur le paiement des contributions financières annuelles au budget de la copropriété au titre de l’entretien des parties communes d’un immeuble à appartements, la Cour a jugé que, même si la participation à une copropriété est requise par la loi nationale, il n’en demeure pas moins que les détails de l’administration des parties communes de l’immeuble concerné sont, le cas échéant, réglés par contrat et que l’entrée dans la copropriété se fait par un acte d’acquisition volontaire conjointe d’un appartement et de parts de copropriété dans ces parties communes, de telle sorte qu’une obligation des copropriétaires à l’égard de la copropriété, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme étant une obligation juridique librement consentie (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 27)."

Motif 28 : "La circonstance que cette obligation résulte exclusivement de cet acte d’acquisition ou découle à la fois de celui-ci et d’une décision adoptée par l’assemblée générale des copropriétaires dudit immeuble est sans incidence sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à ladite obligation (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 28)."

Motif 29 : "De même, le fait que les copropriétaires concernés n’ont pas participé à l’adoption de cette décision ou s’y sont opposés mais que, en vertu de la loi nationale, ladite décision et l’obligation qui en découle ont un caractère contraignant et s’imposent à eux est sans incidence sur cette application, puisque, en devenant et en demeurant copropriétaire d’un immeuble, chaque copropriétaire consent à se soumettre à l’ensemble des dispositions de l’acte réglementant la copropriété concernée ainsi qu’aux décisions adoptées par l’assemblée générale des copropriétaires de cet immeuble (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 29)."

Motif 30 : "Les considérations qui précèdent sont transposables au litige au principal, même si, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376), les biens immeubles en cause au principal sont non pas un appartement, mais des locaux professionnels, des garages ou des entrepôts. En effet, la destination des biens immeubles est sans incidence sur le caractère volontaire de l’acte d’acquisition de ces biens immeubles ni, par conséquent, sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à cette obligation des copropriétaires."

Dispositif 1 (et motif 31) :  "L’article 7 du règlement (UE) n° 1215/2012 (…), doit être interprété en ce sens qu’un litige portant sur l’inexécution des obligations financières imposées par la loi nationale aux copropriétaires d’un immeuble doit être regardé comme relevant de la notion de « matière contractuelle », au sens de l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement."

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CJUE, 19 nov. 2019, INA-INDUSTRIJA NAFTE d.d. e.a., Aff. C-200/19 (Ord.)

Motif 36 : "S’agissant du litige au principal, il suffit de constater que, outre le fait que la décision de renvoi ne comporte pas d’éléments permettant de déterminer si les bureaux dont Ljubljanska banka est propriétaire dans l’immeuble en cause au principal constituent un « centre d’opérations » au sens de ladite jurisprudence, il est manifeste que le litige dont est saisie la juridiction de renvoi concerne non pas des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale ou des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère, mais sur des obligations financières imposées par la loi nationale à cette société en sa qualité de copropriétaire de cet immeuble." 

Motif 37 : "Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, ces obligations résultent de la possession non seulement desdits bureaux, mais aussi d’autres biens immobiliers dont Ljubljanska banka est également propriétaire, situés dans ledit immeuble." 

Dispositif 2 (et motif 38) : "L’article 7, point 5, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un litige, tel que celui en cause au principal, portant sur une obligation résultant de la possession, par une société, de locaux professionnels dans lesquels elle est établie et exerce des activités, ne constitue pas une « contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement », au sens de cette disposition."

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CJUE, 19 nov. 2019, INA-INDUSTRIJA NAFTE d.d. e.a., Aff. C-200/19 (Ord.)

Motif 27 : "S’agissant d’une obligation dont sont tenus les copropriétaires à l’égard de la copropriété, portant sur le paiement des contributions financières annuelles au budget de la copropriété au titre de l’entretien des parties communes d’un immeuble à appartements, la Cour a jugé que, même si la participation à une copropriété est requise par la loi nationale, il n’en demeure pas moins que les détails de l’administration des parties communes de l’immeuble concerné sont, le cas échéant, réglés par contrat et que l’entrée dans la copropriété se fait par un acte d’acquisition volontaire conjointe d’un appartement et de parts de copropriété dans ces parties communes, de telle sorte qu’une obligation des copropriétaires à l’égard de la copropriété, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme étant une obligation juridique librement consentie (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 27)."

Motif 28 : "La circonstance que cette obligation résulte exclusivement de cet acte d’acquisition ou découle à la fois de celui-ci et d’une décision adoptée par l’assemblée générale des copropriétaires dudit immeuble est sans incidence sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à ladite obligation (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 28)."

Motif 29 : "De même, le fait que les copropriétaires concernés n’ont pas participé à l’adoption de cette décision ou s’y sont opposés mais que, en vertu de la loi nationale, ladite décision et l’obligation qui en découle ont un caractère contraignant et s’imposent à eux est sans incidence sur cette application, puisque, en devenant et en demeurant copropriétaire d’un immeuble, chaque copropriétaire consent à se soumettre à l’ensemble des dispositions de l’acte réglementant la copropriété concernée ainsi qu’aux décisions adoptées par l’assemblée générale des copropriétaires de cet immeuble (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 29)."

Motif 30 : "Les considérations qui précèdent sont transposables au litige au principal, même si, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376), les biens immeubles en cause au principal sont non pas un appartement, mais des locaux professionnels, des garages ou des entrepôts. En effet, la destination des biens immeubles est sans incidence sur le caractère volontaire de l’acte d’acquisition de ces biens immeubles ni, par conséquent, sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à cette obligation des copropriétaires."

Dispositif 1 (et motif 31) :  "L’article 7 du règlement (UE) n° 1215/2012 (…), doit être interprété en ce sens qu’un litige portant sur l’inexécution des obligations financières imposées par la loi nationale aux copropriétaires d’un immeuble doit être regardé comme relevant de la notion de « matière contractuelle », au sens de l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement."

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CJUE, 19 nov. 2019, INA-INDUSTRIJA NAFTE d.d. e.a., Aff. C-200/19 (Ord.)

Motif 27 : "S’agissant d’une obligation dont sont tenus les copropriétaires à l’égard de la copropriété, portant sur le paiement des contributions financières annuelles au budget de la copropriété au titre de l’entretien des parties communes d’un immeuble à appartements, la Cour a jugé que, même si la participation à une copropriété est requise par la loi nationale, il n’en demeure pas moins que les détails de l’administration des parties communes de l’immeuble concerné sont, le cas échéant, réglés par contrat et que l’entrée dans la copropriété se fait par un acte d’acquisition volontaire conjointe d’un appartement et de parts de copropriété dans ces parties communes, de telle sorte qu’une obligation des copropriétaires à l’égard de la copropriété, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme étant une obligation juridique librement consentie (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 27)."

Motif 28 : "La circonstance que cette obligation résulte exclusivement de cet acte d’acquisition ou découle à la fois de celui-ci et d’une décision adoptée par l’assemblée générale des copropriétaires dudit immeuble est sans incidence sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à ladite obligation (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 28)."

Motif 29 : "De même, le fait que les copropriétaires concernés n’ont pas participé à l’adoption de cette décision ou s’y sont opposés mais que, en vertu de la loi nationale, ladite décision et l’obligation qui en découle ont un caractère contraignant et s’imposent à eux est sans incidence sur cette application, puisque, en devenant et en demeurant copropriétaire d’un immeuble, chaque copropriétaire consent à se soumettre à l’ensemble des dispositions de l’acte réglementant la copropriété concernée ainsi qu’aux décisions adoptées par l’assemblée générale des copropriétaires de cet immeuble (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 29)."

Motif 30 : "Les considérations qui précèdent sont transposables au litige au principal, même si, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376), les biens immeubles en cause au principal sont non pas un appartement, mais des locaux professionnels, des garages ou des entrepôts. En effet, la destination des biens immeubles est sans incidence sur le caractère volontaire de l’acte d’acquisition de ces biens immeubles ni, par conséquent, sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à cette obligation des copropriétaires."

Dispositif 1 (et motif 31) :  "L’article 7 du règlement (UE) n° 1215/2012 (…), doit être interprété en ce sens qu’un litige portant sur l’inexécution des obligations financières imposées par la loi nationale aux copropriétaires d’un immeuble doit être regardé comme relevant de la notion de « matière contractuelle », au sens de l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement."

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CJUE, 7 nov. 2019, A. Guaitoli et al., Aff. C-213/18

Aff. C-213/18, Concl. H. Saugmandsgaard Øe 

Dispositif 1 (et motif 44) : "L’article 7, point 1, l’article 67 et l’article 71, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 (…), ainsi que l’article 33 de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001, doivent être interprétés en ce sens que la juridiction d’un État membre saisie d’une action visant à obtenir, à la fois, le respect des droits forfaitaires et uniformisés prévus par le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, et la réparation d’un préjudice complémentaire relevant du champ d’application de cette convention doit apprécier sa compétence, pour le premier chef de demande, au regard de l’article 7, point 1, du règlement n° 1215/2012 et, pour le second chef de demande, au regard de l’article 33 de ladite convention".

Dispositif 2 (et motif 55) : "L’article 33, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, doit être interprété en ce sens qu’il régit, aux fins des actions en réparation d’un préjudice relevant du champ d’application de cette convention, non seulement la répartition de la compétence judiciaire entre les États parties à celle-ci mais également la répartition de la compétence territoriale entre les juridictions de chacun de ces États".

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CCIP-CA, 7 janv. 2020, n° 19/12209

Motifs : [Dans les motifs précédents, la Cour a justifié l’application du règlement Bruxelles I bis et cité l’arrêt CDC de la Cour de justice ; aux motifs 38 et 39, elle cite également l’arrêt Apple Sales International, également de la Cour de justice]  

"36. En l'espèce, il est constant qu'aux termes de son assignation initiale, la société Sport One [de droit français] a sollicité à titre principal la nullité de la décision de la société NEON [filiale néerlandaise de Nike] de rompre les relations commerciales en ce que cette décision est motivée par une pratique anticoncurrentielle caractérisée par une restriction verticale de concurrence et à titre subsidiaire le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés depuis presque 10 ans.

Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris pour connaître de l'atteinte au droit de la concurrence ; (…)

40. Il se déduit de ces deux décisions [CDC et Apple Sales International] de la Cour de Justice de l'Union européenne que l'application d'une clause attributive de juridiction dans le cadre d'une action en responsabilité fondée sur des pratiques anticoncurrentielles varie, non pas en fonction de la nature du comportement allégué, mais en considération du lien qui existe entre ce comportement et le contrat contenant la clause attributive de juridiction. (…)

44. Il ressort de ces éléments que dans le cadre du présent litige, la demande principale de la société Sport One porte expressément sur l'appréciation au regard des règles de droit de la concurrence de la licéité de la clause 9.4 des conditions générales de vente, lesquelles contiennent aussi la clause attributive de juridiction litigieuse, rédigée comme suit :

« Article 12 – Droit applicable et compétence juridictionnelle

12.1 Toute commande sera considérée comme un contrat conclu aux Pays-Bas et soumise à tous égards au droit néerlandais, y compris la Convention sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises.

12.2 L’Acheteur se soumet irrévocablement à la compétence des juridictions d’Amsterdam (Pays-Bas) pour toute action en justice ou procédure judiciaire liée à une Commande et/ou aux présentes Conditions.

12.3 Conçue en faveur de NIKE, la clause 12.2 ne saurait affecter le droit pour celle-ci d’agir devant toute autre juridiction ».

45. S'il est vrai que cette clause vise « toute action en justice ou procédure judiciaire liée à une Commande » et que l'article 1.2 de ces mêmes conditions générales précise que « Chaque Commande acceptée constituera (…) un accord autonome conclu entre NIKE et l'Acheteur », cette même clause indique aussi qu'elle a vocation à s'appliquer cumulativement ou alternativement (« et/ou ») « aux présentes Conditions », de sorte qu'elle couvre aussi toute action portant sur les conditions générales de vente, et notamment l'article 9.4 dont la société Sport One soutient l'illicéité pour justifier la nullité de la décision par laquelle la société NEON a mis fin à la relation commerciale.

46. En outre, l'article 13 de ces mêmes conditions générales de vente porte également sur les « règles applicables en matière de distribution sélective » et dispose que « l'Acheteur se conformera à tout moment aux règles de NIKE applicables en matière de distribution sélective (...) ».

47. Ainsi la demande principale relative à la nullité de la décision du 18 mai 2015 étant fondée par la société Sport One sur l'illicéité alléguée de l'article 9.4 des conditions générales de vente au regard des règles sur le droit de la concurrence, il y a lieu de considérer que le comportement anticoncurrentiel allégué est en lien avec ces conditions générales de vente contenant la clause attributive de juridiction et que les pratiques dénoncées ne sont manifestement pas étrangères au rapport contractuel dans le cadre duquel la clause attributive de juridiction a été conclue.

48. En conséquence, la société Sport One n'est pas fondée à considérer que la clause attributive de juridiction insérée dans ces conditions générales n'a pas vocation à s'appliquer pour déterminer la juridiction compétente.

49. Il convient dans ces conditions de confirmer de ce chef le jugement du tribunal de commerce de Paris.

Sur la compétence du tribunal de commerce pour connaître de la demande de réparation fondée sur la rupture brutale des relations commerciales ;

50. Il convient de rappeler que l'article 25 du Règlement Bruxelles I bis précité ne limite nullement la portée d'une clause attributive de juridiction aux seuls différends de nature contractuelle mais vise plus précisément la faculté pour les parties de choisir la juridiction compétente « pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé ».

51. Dès lors, l'application d'une telle clause ne dépend pas de la nature contractuelle ou délictuelle de l'action en responsabilité diligentée mais de la seule portée que les parties ont voulu donner à cette clause.

52. Il appartient donc à la cour d'apprécier en l'espèce si la clause litigieuse est rédigée en termes suffisamment larges pour englober l'action diligentée par la société Sport One en réparation du préjudice du fait de la rupture alléguée comme brutale des relations commerciales nouées avec la société NEON.

53. A cet égard, ainsi qu'il l'a été mentionné ci-dessus, si la clause litigieuse ne vise pas expressément ce type d'action, ses termes sont toutefois suffisamment généraux pour l'englober dès lors qu'elle se réfère non seulement à « toute action en justice ou procédure judiciaire liée à une Commande » mais aussi à toute action ou procédure judiciaire liée « aux présentes Conditions », à savoir aux conditions générales de vente, auxquelles, d'une part, l'article 4 du document relatif à la politique de distribution de la société NEON renvoie expressément, et dont, d'autre part, certains articles ont un champ qui dépasse manifestement celui de la commande isolée et régissent les relations commerciales entre les parties.

54. Ainsi, l'article 9 intitulé « droits de propriété intellectuelle » dispose que « Nike se réserve tous les droits et objets de droits de propriété intellectuelle relatifs à ses produits (…). L'acheteur s'interdit d'utiliser ces droits et objets de droits de propriété intellectuelle, de les enregistrer ou de les mettre à la disposition d'un tiers sans l'accord écrit exprès et préalable de Nike (…) » et interdit notamment l'acheteur d'utiliser « une marque Nike sur un site internet sans l'accord écrit préalable de Nike ».

55. Tel est le cas aussi de l'article 10 intitulé « Confidentialité » au terme duquel « Nike et l'acheteur tiendront confidentielles et s'abstiendront de communiquer à un tiers, sans l'accord écrit préalable de l'autre partie, des informations techniques ou commerciales acquises de l'autre partie par suite de discussions, de négociations et d'autres communications entre eux se rapportant aux produits ou à la commande ».

56. Tel est le cas enfin de l'article 13 intitulé « règles applicables en matière de distribution sélective » selon lequel « l'Acheteur se conformera à tout moment aux règles de NIKE applicables en matière de distribution sélective (...) ».

57. Il ressort de ces articles, insérés dans les conditions générales de vente, que celles-ci n'ont manifestement pas pour seul objet de régir chacune des commandes prises isolément, mais aussi les « discussions », « négociations » et autres « communications entre eux se rapportant aux produits » en général ou encore aux règles de Nike «applicables en matière de distribution sélective », autant de points qui ont trait aux relations commerciales établies entre les parties.

58. En l'état de ces éléments, il convient de considérer que la clause attributive de juridiction peut englober une action en réparation liée à la rupture des dites relations commerciales de sorte que seules les juridictions d’Amsterdam (Pays-Bas) désignées par cette clause sont compétentes pour en connaître et que le jugement du tribunal de commerce de Paris qui s'est déclaré incompétent doit être dès lors confirmé.".

Official English Abstract:

"In an action for compensation brought by Sport One, a company incorporated under French law, against Nike Europe Operations Netherlands (Neon), a company incorporated under Dutch law,  relating to the allegation of vertical restraint on competition and  to the brutal nature of the termination of the commercial relationships established between the companies for almost 10 years, the ICCP-CA confirmed the ruling of the Paris Commercial Court which ruled out its jurisdiction to hear the dispute on the ground  of the jurisdiction clause designating the courts of the Netherlands inserted in the general terms and conditions of sale concluded on the occasion of the purchases by the French company of the Dutch company's products.

The court held in view of the case law of the ECJ (judgments of May 21, 2015, CDC Hydrogen Peroxide, C - 352/13 and of October 24, 2018, Apples Sales Vs eBizcuss.com C-595/17), that the application of a jurisdiction clause in the context of claim based on anticompetitive practices varies, not according to the nature of the alleged behavior, but according to the link between this behavior and the contract containing the jurisdiction clause. Holding that the anticompetitive practices in which the Dutch company had engaged had materialized in the contractual relations established between the parties, by means of the contractual conditions agreed so that the practices denounced were clearly not unrelated to the contractual relationship in the context of which the jurisdiction clause was concluded, the court ruled that the jurisdiction clause inserted in these general terms and conditions was  deemed to apply to rule on the jurisdiction. 

Regarding the jurisdiction of the Paris Commercial Court to hear the claim for compensation based on the abrupt termination of the commercial relationships, the ICCP-CA held that article 25 of the Brussels I (recast) Regulation in no way limits the scope of a jurisdiction clause attributive to disputes of a contractual nature but more specifically relates to the possibility for the parties to choose the competent jurisdiction "to hear disputes arising or to arise on the occasion of a specific legal relationship" and that the application of such a clause does not depend on the contractual or tortious nature of the claim but on the only scope which the parties wanted to give to this clause. Considering in the present case that the clause at issue was drafted in sufficiently broad terms to encompass the action brought by the French company in compensation for the damage caused by the alleged abrupt termination of the commercial relationships established with the Dutch company, the court  held that only the courts of Amsterdam (Netherlands) designated by this have jurisdiction to hear this case.".

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CCIP-CA, 14 janv. 2020, n° 19/18332

Motifs : 

"57. L'article 100 du code de procédure civile énonce que si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d'office.

58. L'exception de litispendance peut être invoquée en raison de l'instance engagée devant un tribunal étranger également compétent et suppose pour être accueillie une identité de litige c'est-à-dire une triple identité de parties, d'objet et de cause.

59. Il ressort de la procédure que les parties dans les deux instances initiées aux Etats-Unis puis en France ne sont pas les mêmes dès lors que les sociétés EnigmaSoft Ltd et Malwarebytes Limited sont absentes dans la procédure américaine et que contrairement à ce que prétendent les appelantes, leur présence dans la procédure française pour les motifs retenus précédemment n'est ni fictive ni artificielle.

60. De plus les appelantes reconnaissent que les fondements juridiques des deux procédures sont distincts et soutiennent seulement à partir de suppositions que dans le cadre de la procédure américaine la juridiction californienne statuera sur le préjudice mondial incluant sans ambiguïté celui subi en France ce qui est insuffisant pour répondre aux exigences d'identité de cause et d'objet nécessaires au succès de leur prétention.

61. L'exception de litispendance sera en conséquence rejetée et la décision du tribunal sera confirmée de ce chef."

Official Abstract in English:

"14 January 2020 - ICCP-CA RG 19/18332 - Jurisdiction - Articles 7 (2) Regulation Bruxelles I (recast) and 46 of the code of civil procedure

The Court answers the question whether the French court has jurisdiction to rule on a dispute between two American companies and their Irish subsidiary under Article 46 of the Code of Civil Procedure and Article 7(2) of Regulation (EU) No 1215/2012 for alleged anti-competitive acts.

The Malwarebytes companies are being sued under Article 1240 of the Civil Code by the Enigma companies who claim that, following the review of the Malwarebytes anti-virus programs in the United States, they interfered with their own products.

The Paris Commercial Court found that it has jurisdiction on the basis of the criterion of the place where the harmful event occurred, in France, which the Court confirmed considering that Enigma sufficiently established that it suffered damages on the French digital market characterized by the loss of sales due to the online marketing of competing software available on a website intended for the French public, for which it sought compensation in that territory only.

It is held that Enigma, which claims that it is the victim of tortious acts, had in this context the choice to bring the matter before the Commercial Court of Paris, irrespective of the location of one of the events giving rise to the damage located in the United States, where the disputed software had been modified.

The lis pendens exception was not upheld due to the lack of identity of the dispute previously brought in the United States by Enigma against Malwarebytes Inc. although it involved the same facts of on-line interference between competing softwares."

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

CCIP-CA, 14 janv. 2020, n° 19/18332

Motifs : 

[Dans les motifs précédents, la Cour a clarifié les textes sur lesquels elle se fondait et cité les arrêts Melzer (point 25), Concurrence SARLflyLAL et Tibor-Trans, rendus pas la Cour de justice]

"51. En l'occurrence les demandes formulées par les sociétés Enigma [sociétés américaine et irlandaise] sont limitées à la réparation du préjudice subi en France et aux mesures adéquates de réparation et de prévention de tout nouveau dommage sur ce territoire seulement.

52. Il n'est par ailleurs pas contesté que le logiciel Malwarebytes litigieux qui est téléchargeable en ligne sur le site internet Malwarebytes, n'est pas seulement commercialisé aux Etats-Unis [par l’une des défenderesses, américaine] mais aussi et précisément en France par l'intermédiaire de la société irlandaise Malwarebytes Ltd qui est un concurrent de la société Enigma sur ce marché et constitue bien un défendeur sérieux.

53. Il est en outre établi par les pièces produites que la société Malwarebytes cible le marché français et met à disposition des utilisateurs un site internet en langue française « fr.malwarebytes.com » à partir duquel ils peuvent à l'aide d'instructions en français procéder au téléchargement et à l'installation d'une version française des logiciels et obtenir des informations en français de sorte qu'il s'agit bien d'un site destiné au public français.

54. La société américaine Malwarebytes Inc ne peut sérieusement prétendre qu'elle est étrangère à la commercialisation en France du produit alors qu'il ressort de la page web francophone du site « fr.malwarebytes.com » qu'elle apparaît comme interlocuteur au pied de la page d'accueil d'où il résulte que sa présence dans la cause est justifiée.

55. En conséquence, s'il est exact que la révision du logiciel Malwarebytes conçu à Santa Clara constitue l'un des faits générateurs localisé aux Etats Unis, ayant contribué au dommage allégué par les sociétés Enigma, le dommage qu'elles ont subi se caractérise par la perte subie sur le marché français du fait de la commercialisation en France du logiciel Malwarebytes ce qui autorise les sociétés Enigma à choisir la juridiction française internationalement compétente au regard des articles 46 du code de procédure civile et 7.2 du règlement (UE) N° 1215/2012 dit Bruxelles 1 bis".

Official Abstract in English:

"The Court answers the question whether the French court has jurisdiction to rule on a dispute between two American companies and their Irish subsidiary under Article 46 of the Code of Civil Procedure and Article 7(2) of Regulation (EU) No 1215/2012 for alleged anti-competitive acts.

The Malwarebytes companies are being sued under Article 1240 of the Civil Code by the Enigma companies who claim that, following the review of the Malwarebytes anti-virus programs in the United States, they interfered with their own products.

The Paris Commercial Court found that it has jurisdiction on the basis of the criterion of the place where the harmful event occurred, in France, which the Court confirmed considering that Enigma sufficiently established that it suffered damages on the French digital market characterized by the loss of sales due to the online marketing of competing software available on a website intended for the French public, for which it sought compensation in that territory only.

It is held that Enigma, which claims that it is the victim of tortious acts, had in this context the choice to bring the matter before the Commercial Court of Paris, irrespective of the location of one of the events giving rise to the damage located in the United States, where the disputed software had been modified. (…)".

Bruxelles I bis (règl. 1215/2012)

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